Chirurgien devenu psychothérapeute, Thierry Janssen est l’auteur de livres consacrés à une approche globale de l’être humain et à une vision spirituelle de la médecine. Il a notamment publié La Solution Intérieure (2006), La Maladie a-t-elle un sens ? (2008) et Le Défi positif (2011). Dans Développer votre intuition pour prendre de meilleures décisions , Thierry Janssen livre sa vision et son expérience de l’intuition, évoquant ses multiples facettes et la place centrale qu’elle occupe dans sa vie.
Isabelle Fontaine : Quelle est votre perception de l’intuition ?
Thierry Janssen : « L’intuition est un phénomène non conscientisé et non verbalisé. C’est une information d’un type très particulier se manifestant par une sensation, en lien avec une émotion. Lorsque nous agissons par intuition, nous le faisons en fonction d’un critère corporel : est-ce confortable ou pas physiquement ? Si l’on rencontre par exemple quelqu’un qui nous fait une proposition alléchante, nous pouvons ressentir une tension ou bien un relâchement dans notre corps, ainsi que des émotions comme la peur, l’anxiété, la joie, l’enthousiasme. Tout cela informe sur ce que l’on vit intérieurement. J’ai personnellement appris à reconnaître les manifestations subtiles de l’intuition avec le temps, au fil de mes expériences. Aujourd’hui, j’entends mon corps qui me dit oui ou non, et je me fie à ses indications. »
I. F. : Comment ce lien fort que vous entretenez avec l’intuition s’est-il manifesté dans votre existence ?
T. J. « J’ai vécu une expérience initiatrice forte. En 1998, j’avais 36 ans, je n’étais pas heureux dans mon travail de chirurgien. J’étais tendu, nerveux, agressif, j’accusais les autres de ce mal-être. Fraîchement nommé dans une unité de cancérologie, le 5 janvier au matin, en me rendant à mon bureau, je me suis trouvé très mal physiquement. J’ai ressenti un vide, une sensation de danger, le tout accompagné d’un désespoir frisant la panique. J’avais beau me raisonner, j’entendais une voix intérieure qui me disait : “Si tu restes ici, tu vas mourir.” J’ai quitté les lieux en prenant la précaution de laisser un mot d’explication derrière moi. Je n’avais pas peur. Je sentais que c’était juste. J’avais une confiance absolue en ce que je ressentais. »
I. F. : Comment cette décision de tout quitter du jour au lendemain, sur un « coup de tête intuitif » a-t-elle été accueillie par votre entourage ?
T. J. : « Mes confrères et collègues ont voulu me faire changer d’avis. Ils prétendaient que j’étais dépressif, que j’avais besoin de repos. Moi, je me sentais joyeux, je savais que c’était la bonne décision ! Quelques jours plus tard, une amie m’a informé d’un poste de directeur qui se libérait chez Armani. Contre toute attente, alors que je n’avais pas d’expérience dans ce domaine, j’ai eu une intuition très forte. Je me suis immédiatement dit : “Je vais faire ça, c’est pour moi.” J’ai décroché le poste. L’aventure a duré neuf mois, puis j’ai quitté la société. Ce milieu professionnel ne me convenait pas, d’autant plus que je n’étais pas bien formé pour y évoluer. Ensuite, j’ai pris le temps d’entrer en moi, de redécouvrir et recontacter tout ce qui, adolescent, me faisait vibrer. Au cours de cette période clé de mon existence, j’ai commencé à prendre conscience que lorsque je laissais ma raison diriger mon existence, je me perdais ; et dès lors que j’écoutais mes sensations et mes intuitions, c’était juste. »
I. F. : Quel lien faites-vous entre les synchronicités – ou heureuses coïncidences – et l’intuition ? En avez-vous vécu ?
T. J. : « Plusieurs synchronicités ont jalonné ma vie, me guidant par exemple, début 2000, vers l’auteure Barbara Brennan et son enseignement sur le soin énergétique, délivré dans son école aux États-Unis. Je crois que les coïncidences heureuses apparaissent lorsqu’on suit sa voix intérieure. Elles témoignent d’une rencontre entre la réalité intérieure et extérieure d’une personne. Celle-ci repère dans son environnement des signes qui alimentent son projet, un projet souvent inconscient et qui se révèle à travers le miroir des synchronicités. On est alors guidé par ce qui fait sens pour soi et on trouve le moyen de concrétiser son projet. Ces heureux hasards sont la manifestation d’une sorte de loi d’attraction, de résonance entre une personne et son environnement. Il est important d’y prêter attention. »
I. F. : Utilisez-vous l’intuition dans votre pratique thérapeutique ?
T. J. : « Avec mes patients, je laisse les images, les sensations, les idées, les perceptions physiques me traverser. J’agis dans le domaine du non-verbal, de l’énergétique. Il m’arrive de capter une information de manière presque viscérale. Je sais. Cependant, je veille à garder la bonne distance entre l’intérieur et l’extérieur, afin de ne pas confondre perception et projection. Je tiens aussi mon mental à distance, car en jugeant, on peut facilement perdre des informations intuitives sur un patient. Un jour, il m’est arrivé en consultation de “voir” une tâche noire sur l’ovaire d’une patiente. Il s’agissait d’une perception bien différente d’un simple produit de mon imagination. J’ai appris à ressentir la différence entre les deux, à travers mes sensations corporelles. Je lui ai donc conseillé de consulter son gynécologue, ce qu’elle a fait. Il se trouve qu’elle était atteinte d’une tumeur cancéreuse, pile à cet endroit-là. »
I. F. : Quel est le lien entre la dimension spirituelle de notre être et l’intuition
T. J. : « Il y a en Occident une dichotomie entre le corps et l’esprit. On est comme compartimentés. Le mental tout puissant dicte sa loi au corps. Les gens n’écoutent pas les messages qui se manifestent au travers de symptômes physiques, de fatigue par exemple. Ils sont tellement déconnectés d’eux-mêmes, de leurs sensations, de leurs émotions qu’ils n’arrivent plus à avoir de l’intuition. Quand on est en contact avec les trois dimensions de son être, physique, émotionnel et intellectuel, alors on parvient à la dimension spirituelle. J’entends ici le terme spirituel non dans un sens religieux mais dans le sens de spiritus, le souffle qui relie tout ce qui participe du vivant. Toutes les traditions nous renseignent sur l’existence d’un continuum entre toutes les choses. Plus on est spirituel, plus on est capable de faire des liens, plus on est informé des données qui viennent des profondeurs de l’être. »
I. F : L’intuition vous guide-t-elle dans l’écriture de vos ouvrages ?
T. J. : « J’ai écrit mon premier ouvrage, Le Travail d’une vie, en 23 jours, d’une manière complètement intuitive. Chez moi, les livres naissent par vision. Je vois l’idée, la structure, je visualise presque la table des matières. La raison, ses jugements et ses doutes, peuvent ralentir voire bloquer le processus. Puis le titre finit par s’imposer à moi. Et après, je dois l’écrire ! Certains de mes ouvrages, comme La Solution intérieure, m’ont demandé de m’isoler, de me retirer, afin de créer un espace à l’intérieur de moi et suffisamment de silence pour écouter mes intuitions et l’inspiration qu’elles m’apportent. »
I. F. : Quel conseil donneriez-vous pour être plus connecté à son intuition ?
T. J. : « Tenir un journal intime permet de créer l’espace intérieur dont je viens de parler. J’en tiens un depuis quinze ans, et y trouve une forme d’apaisement, de ressourcement et d’inspiration. C’est un lieu de conscientisation dans lequel je note mes émotions, mes sentiments, mes contrariétés. L’état intuitif est un état d’être. C’est une façon d’être présent à soi et au monde. »
Propos recueillis par Isabelle Fontaine