Les soft skills, ces « compétences douces » au travail s’avèrent cruciales dans la mutation de l’emploi due à l’avènement de l’Intelligence Artificielle. Parmi elles, l’intuition se distingue par son caractère universel, transversal et multi potentiel.
Ce n’est pas une crise, c’est un changement de monde »… C’est ainsi qu’en 2012 Michel Serres évoquait dans Petite Poucette[1] la révolution de l’avènement du digital, bouleversement également de nature anthropologique selon le philosophe car touchant l’être humain, lequel se voyait nouvellement doté d’une maestria hors pair pour utiliser ses pouces… Visionnaire sur l’ampleur de la mutation à l’œuvre, Michel Serres anticipait ce « monde d’après » de l’Intelligence Artificielle (AI) aujourd’hui d’actualité avec notamment la percée du robot conversationnel ChatGPT conçu par l’entreprise américaine OpenAI. Bousculant en profondeur les « équilibres mondiaux »[2], l’IA signe pour de nombreux économistes l’avènement d’une quatrième révolution industrielle. Comme les trois précédentes ères industrielles (machine à vapeur, électricité-pétrole et électronique-télécommunications-informatique), celle-ci marque une rupture majeure non seulement technologique, mais aussi sociétale. « Faisant faire un nouveau bon à l’humanité, cette révolution ne sera pas sans conséquence sur manière de vivre et de travailler, et donc sur les compétences », estiment de leur côté les auteurs de Soft Skills, un enjeu pour la carrière[3].
Un défi pour repenser le travail et les compétences associées
Avec l’IA, c’est en effet une véritable mutation de l’emploi qui se prépare, avec la disparition de certains métiers, certaines compétences techniques étant susceptibles de devenir d’ici peu obsolètes. Dans une publication de 2020, le cabinet McKinsey estime que 60% des postes dans le monde verront au moins 30% de leurs taches automatisées[4]. Ce bouleversement de l’emploi suppose un défi majeur pour les entreprises et leurs salariés de repenser non seulement le travail, mais aussi les aptitudes demandées. C’est dans ce contexte sous haute tension que les « soft skills », ces compétences « douces » ou « souples » s’imposent comme non seulement « importantes », « urgentes », voire « incontournables » à déployer. A différencier des « hard skills », ces compétences de base, de métier, techniques, touchant au savoir-faire, les « soft skills », ont à voir avec le comportement et le savoir-être des individus. Transversales, elles touchent plusieurs métiers, et, éminemment humaines, elles ne s’avèrent « pas intéressantes d’externaliser à une machine »[5], mais peuvent utilement les compléter, dans une sorte de coopération humain-IA, au service d’un monde de plus en plus volatile, complexe, ambigu et incertain.
Imaginer des solutions hors logique prédictible
Ecoute, empathie, intelligence émotionnelle, audace, confiance en soi, présence, gestion du stress, attitude positive, autonomie, intégrité… Bien loin d’être des gadgets, ces compétences signent des capacités personnelles d’ordre relationnel, cognitif, conceptuel, émotionnel, organisationnel. Selon différents baromètres mis en place pour en mesurer l’impact, comme TodoSkills, on dénombre jusqu’à une quarantaine de compétences comportementales. L’approche des « 4 C » propose de les ranger en quatre catégories clé : l’esprit Critique, la Créativité, la Communication et la Coopération. Bien qu’absente au premier abord, l’intuition, que Roland Jouvent, professeur en psychiatrie et directeur du centre émotion du CNRS définit comme la capacité « d’imaginer des réponses et des solutions hors logique prédictible »[6], apparait comme une compétence « brique de base » des soft skills, essentielle, multi potentiel.
En effet, l’intuition touche les quatre C à la fois à:
– La capacité Critique à travers le discernement rendu possible par la rencontre éclairée entre raison et intuition, permettant de trier ce qui est utile et important ou pas, et prendre des décisions plus rapides;
–La Créativité, en permettant de penser out of the box, se projeter, innover avec du nouveau, innover ;
–La Communication et la Coopération, en jouant sur l’empathie, qualité sensible en lien avec l’intelligence émotionnelle permettant de se mettre à la place de l’autre pour sentir ce qu’il ressent, et ainsi améliorer la qualité des échanges, qui sont humanisés.
Etroitement liée à la confiance en soi et à la capacité d’écouter ses ressentis, l’intuition est aussi essentielle pour accroitre la Qualité de vie au Travail (QVT), rendant la personne capable de mieux identifier ce qui est bon ou pas pour elle (voir quelques clés en encadré ci-dessous pour la déployer au travail), ce qui se révèle notamment utile pour réduire le stress et prévenir le burn out.
Les machines ne pourront jamais créer
Capacité universelle, s’exprimant cependant avec des variantes d’expressions personnelles (cf article « Test : quel est votre profil intuitif ? »), le dictionnaire Petit Robert définit l’intuition comme une « Forme de connaissance immédiate de la vérité qui ne recourt pas au raisonnement ». Compétence clé, elle fait figure d’avantage concurrentiel dans les prises de décisions en complément des données de l’IA seule. « Bien que l’IA puisse fournir des insights précieux, la prise de décision finale doit toujours reposer sur le jugement humain. Les membres du conseil d’entreprise doivent être formés pour comprendre et interpréter les recommandations de l’IA, en les intégrant à leur propre expertise et intuition », estime l’entrepreneur Frédéric Mathhey dans un article du Monde économique[7].« Face à un afflux d’information difficile à contenir et à traiter, l’intuition apparaît comme une compétence d’adaptation et d’agilité nécessaire à l’environnement complexe dans lequel nous évoluons. Ainsi, une étude d’Oracle Netsuite de 2020[8] révèle que si plus de 90% des cadres se sentent submergés par les données lorsqu’ils doivent prendre une décision, 23% préfèrent déjà s’en remettre à leur 6e sens… L’intuition constituerait il ainsi ce petit plus de l’humain sur la machine ? Comme l’évoque de son côté Aurélie Jean, mathématicienne spécialiste des algorithmes [9] : « L’intelligence artificielle ne doit pas annuler l’intuition et l’imprévisible. Quasiment imbattables sur la partie analyse cerveau gauche, les machines ne pourront ainsi jamais créer ».
Isabelle Fontaine – Histoire d’Intuition
4 POINTS CLE POUR DEVELOPPER SA SOFT SKILL INTUITION
1.Listez à quoi vous sert l’intuition dans votre vie professionnelle
Repérez TOUT ce que vous faites déjà grâce à votre intuition. Ex : Répondre à un appel d’offre, prendre une décision stratégique, réorienter votre carrière, trancher dans un recrutement, débloquer un dossier par une solution inédite, désamorcer un conflit entre collègue, percevoir les enjeux caché d’une négociation etc… Et projetez vous pour imaginer tout ce que vous pourriez encore déployer.
2. Identifiez comment votre intuition vous parle
Prenez conscience de comment votre intuition se manifeste. Observez. Avez-vous une petite voix qui vous parle dans la tête ? Des ressentis corporels ? Une évidence qui fait que vous passez à l’action ? Des idées géniales qui fusent ? Un sentiment viscéral ? Des images ou des impressions d’images ? etc… Plus vous mettez de l’attention sur vos processus intuitifs, plus ils deviennent actifs et utilisables.
3. Eprouvez votre intuition
Suivez la voie que votre intuition vous montre et observez ce qu’il se passe. Essayez de la vérifier si c’est possible. Si elle était juste, observez comment cette intuition a émergé. Si vous vous êtes « trompé », comprenez pourquoi. Avez-vous confondu intuition et stéréotype ? Intuition et désir ? Intuition et projection ? Intuition et peur ?
4. Cultivez une disponibilité d’esprit
L’intuition se nourrit de ce qui fait sens, de regard curieux, d’ouverture d’esprit, mais aussi de lâcher prise et de disponibilité intérieure. Faites ce que vous aimez (bricolage, sport, activité artistique, associative, la nature, les expos, les concerts, les voyages), osez faire de nouvelles choses, rencontrer des nouvelles personnes, laisser de la place à l’imprévu, la surprise, l’inattendu, et réservez vous dans votre agenda de moments d’intériorité, hors connexion, pour vous promener, rêvasser, flâner, prier etc.
I. F.
[1] Petite Poucette, Michel Serres, editions le Pommier
[2] https://courier.unesco.org/fr/articles/la-quatrieme-revolution
[3] Soft skill, un enjeu pour sa carrière, Julien Bouret, Jerôme Hoarau, Fabrice Mauléon, éditions Dunod
[4] https://culture-rh.com/soft-skills-definition-incontournables/
[5] Ibid 3
[6] Ibid 3
[7] https://www.monde-economique.ch/l-intelligence-artificielle-dans-les-conseils-d-administration/
[8] https://www.lefigaro.fr/sciences/intuition-ou-raison-a-quoi-se-fier-20200105
[9] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/jusqu-ici-tout-va-bien/jusqu-ici-tout-va-bien-du-mercredi-30-aout-2023-5195433?fbclid=IwAR1vWBP9Tgs89EtL_Wrq5qwjV8idliQYg0meXkpM7JV4fiAw74X5doYWRFA
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