Central dans le mouvement surréaliste des années 30, le thème du «hasard objectif» est porté par André Breton qui lui consacre plusieurs ouvrages. Le phénomène des coïncidences signifiantes relève pour l’écrivain d’un « précipité du désir » qu’il envisage comme une expérience brute, au cœur du sensible et dénuée d’intellectualisation.
Le « hasard objectif »… Cet étonnant oxymore, qui n’est pas sans rappeler la notion de « hasard nécessaire » de l’auteur Jean-François Vézina*, est un jour venu à moi comme une fleur du destin, justement par synchronicité. Alors plongée dans l’écriture d’un chapitre sur les coïncidences signifiantes pour mon livre Libérez la voix de votre intuition, j’ai à plusieurs reprises la pensée insistante d’aller voir le mouvement « Nuit Debout » qui se tient alors à Paris. Bien qu’ayant d’autres priorités à satisfaire, je finis par céder et décide d’aller faire un tour rapide place de la République où campe le rassemblement. Sur place, j’ai bien quelques échanges sympathiques avec des manifestants, mais rien de transcendant. Je décide alors de repartir, la vague idée en tête d’avoir perdu mon temps. En descendant les escaliers de la bouche de métro la plus proche, mon regard se pose sur un mur. Je suis stoppée net. Mes yeux s’écarquillent devant une inscription taguée en rouge : « Hasard objectif ». Je me sens comme paralysée, littéralement aimantée par ces mots. Bouleversée, des frissons parcourent ma peau, je sens une résonance qui fait comme des vagues intérieures. Quelque chose est en train de se passer, qui fait éminemment sens. Cela fait en effet des mois que je planche sur la synchronicité et je n’avais jamais entendu cette expression dont je pressens déjà intuitivement, et surtout émotionnellement, qu’elle est importante.
Une « physique de la poésie »
A mon domicile, une recherche sur internet m’apprend que le terme de « Hasard objectif » est de l’écrivain André Breton, thème exploré dans plusieurs de ses ouvrages, dont Nadja, en 1927. Il y narre une rencontre amoureuse avec une jeune femme elle-même constellée de « pétrifiantes coïncidences », qu’il décortique par le menu, photos à l’appui. En 1932 dans « Les vases communicants » puis surtout en 1937 dans « L’Amour fou », André Breton poursuit et aboutit sa réflexion sur le thème du « hasard ». Il place ce dernier au cœur même du mouvement littéraire, artistique et culturel du surréalisme dont il est alors le porte-parole et qui avait pour ambition d’intégrer les forces les forces psychiques inconscientes dans l’art et l’écriture, approche particulièrement novatrice pour l’époque. « Le hasard serait la manifestation de la nécessité extérieure qui se fraie un chemin dans l’inconscient humain », écrit Breton, alors influencé par Freud et le mouvement naissant de la psychanalyse.
Le hasard agit pour l’écrivain comme un « précipité du désir », à l’œuvre entre autre dans les rencontres, et confine au « merveilleux ». Son ami le poète surréaliste Paul Eluard à qui est attribuée la célèbre citation « il n’y a pas de hasard il n’y a que des rendez-vous », voit quant à lui dans ces étranges coïncidences l’expression d’une « physique de la poésie ». Le mouvement surréaliste s’engouffre dans le hasard tels Jacques Prévert, Yves Tanguy et Marcel Duhamel qui lancent le célèbre jeu d’écriture littéraire du cadavre exquis, consistant à créer un texte à l’aveugle à plusieurs mains. Sous l’impulsion de Breton, le groupe surréaliste créé aussi un « jeu du tarot » surréaliste (voir illustration de l’encadré) au symbolisme puissant, entendant jouer avec le hasard qui fait sens lors d’un tirage de carte.
Cette utilisation délibérée du fortuit sert pour le mouvement surréaliste à provoquer l’étonnement, la surprise et le dépaysement, afin de pouvoir entrer dans ce monde irréel et pourtant si réel du rêve et de l’inconscient, « et ce en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale », précise André Breton.
Une plongée sensible émotionnelle
Vraisemblablement obsédé par le hasard, fasciné même, le porte parole du mouvement surréaliste cherche et explore, embarquant ses proches dans son élan. Maxime Abolgassemi, enseignant et écrivain spécialise du sujet, souligne que cette thématique se cristallise pour André Breton autour de la rencontre, qui agit pour lui comme un catalyseur de hasard. « Breton demandait à ses amis surréalistes de répondre à ces questions : Pouvez-vous dire quelle est la rencontre capitale de votre vie ? Jusqu’à quand cette rencontre vous a-t-elle donné, vous donne-t-elle l’impression du fortuit, du nécessaire ? », explique-t-il. Et de préciser quel le hasard avait pour Breton ce petit supplément d’âme émotionnel, de magie, que ce dernier se réfutait pourtant à idéaliser. « Le courage de Breton a été de fouiller le choc émotionnel provoqué par ce hasard, sans l’aplatir par des interprétations closes liée à la fatalité ou une intervention divine », rapporte Maxime Abolgassemi**.
Ainsi proche de la notion de synchronicité que Carl Gustav Jung est en train à l’époque d’explorer et formaliser, et que Breton n’a pourtant jamais rencontré, son concept « hasard objectif » s’en détache cependant singulièrement, ne serait-ce que dans son approche esthétique. Là où le psychiatre suisse théoricien des coïncidences signifiantes voyait un sens symbolique à ces événements comme porteur d’un message pour la personne sur son chemin de conscience, Breton propose au contraire une vision brute et poétique du hasard. Celui-ci est vu comme une plongée sensible nous faisant vivre une expérience émotionnelle nous invitant à nous laisser infuser par son mystère et sa beauté . Une approche « objective » du hasard, volontairement dépouillée et non intellectualisée (voir encadré pratique ci-après). Dans cette posture d’observateur actif vis à vis du hasard, il n’y a rien à comprendre, à penser ou analyser, tout à ressentir et expérimenter semble nous susurrer Breton…. Une posture qui n’excluait cependant pas de se laisser piquer par l’aiguillon intellectuel de la curiosité. C’est ainsi qu’en 1942, dix ans après avoir commencé à explorer le hasard, le poète et écrivain déclare, lors une conférence donnée à Yale devant la jeunesse en exil, d’un ton presque prophétique : « le hasard demeure le grand voile à soulever ».
Isabelle Fontaine
*Le hasard nécessaire, Jean-François Vézina, Pocket
**Conférence « Qu’est-ce-que le hasard objectif ? » https://www.youtube.com/watch?v=aESL_SFCI4w
Vivre le hasard en mode surréaliste – Mode d’emploi
Le mouvement surréaliste prône le lâcher prise avec la pensée analytique et rationnelle pour s’aventurer sur les terres de l’expérience de l’imaginaire et de l’absurde. L’objectif est de provoquer un court circuit sensible prompt à provoquer une étincelle créative. Quelques pistes pour entretenir cette flamme surréaliste du « hasard objectif »:
-Quand une synchronicité survient, observez attentivement votre éprouvé physique et émotionnel : qu’est ce que je ressens, en quel endroit de mon corps, « comment cela s’inscrit en moi?
-Abstenez-vous de toute interprétation, du moins dans un premier temps, pour vivre pleinement l’expérience qui s’offre à vous et la laisser infuser.
-Jouez le plus souvent possible avec le hasard : tirez au sort des plans de tables, de réunion, des projets de sortie etc. Observez où ces hasards vous mènent et ce qu’ils génèrent en vous et autour de vous.
-Accueillez les surprises, l’imprévu et les changement de dernière minute comme une occasion de manifestation du hasard objectif. Laissez faire le mouvement à l’œuvre. Observez ce qu’il transforme en vous.
Venez découvrir votre profil intuitif et développer votre intuition – Stage « Libérez la voix de votre intuition » les 12-13 octobre 2024 , Paris. Renseignements et inscriptions Isabelle Fontaine [email protected]; 06 63 72 25 23
Bonjour Isabelle
J’ai connu une famille Fontaine originaire de Liège. 3 frères avaient acheté un hameau dans l’Aude. C’est ainsi que je suis devenu maçon.
Voilà plus de 40 ans.
Joli, merci pour le partage cher Philippe 🙂