Ressentis émotionnels intenses, perceptions sensorielles accrues, mode de pensée en arborescence… Facilement connectée à son monde intérieur, l’hypersensible est naturellement intuitif. Mais cette « hyper intuition » demande à être structurée et canalisée pour donner le meilleur d’elle-même.

Ressentir les gens, les situations, les lieux, les rencontres… Cléa connaît bien. Même trop peut-être. Tout est augmenté chez elle : les émotions, les sensations, les perceptions, les sons, les odeurs, les lumières. « C’est épuisant. Où que j’aille, et surtout si c’est un lieu nouveau, avec des gens nouveaux, j’ai l’impression d’être branchée en permanence sur un canal continu de données qui m’arrivent sans que je ne puisse rien faire. Je peux être traversée par des intuitions sur des personnes vues pour la première fois, leur caractère, des éléments de leur vie, leur état émotionnel. Je sens particulièrement la souffrance, la colère, la tristesse, les faux semblant. Je peux avoir des pressentiments sur des drames à venir et je dois parfois me contrôler pour ne pas dire à mes amis, connaissances, collègues, ce que je perçois, alors qu’ils ne m’ont rien demandé. Mais le plus souvent, je suis incapable de mettre des mots sur les choses que je ressens, et identifier d’où ça vient. Je dépasse très vite un seuil de tolérance, où toutes ces perceptions se bousculent et ça devient difficile à supporter pour moi. Du coup, j’ai tendance à m’isoler », raconte cette digital manager d’une trentaine d’années, qui se définit elle-même comme hypersensible*.
20 à 30% de la population
La sensation d’être une éponge émotionnelle, envahie par un trop plein d’émotions en provenance des autres ou de soi-même, accompagné dans certains cas de perceptions sensorielles aigues -phénomène appelé hyperesthésie-, est typique des personnes hypersensibles. Identifié dès 1913 par le psychiatre suisse Carl Gustav Jung, qui évoque la notion de « sensibilité innée », puis repris dans les années 90 par la psychologue américaine Elaine Aron, ce profil psychologique représenterait aujourd’hui jusqu’à 30% de la population, dont une majorité ignorerait qu’ils le sont. Si à l’époque Jung souligne la richesse de caractère de ces personnes hautement sensibles qui se révèlent empathiques, créatives, avec une pensée riche et complexe fonctionnant en arborescence, il en évoque aussi les difficultés. Ruminations, hésitations, hypervigilance, intolérance à l’ennui, fatigue, insomnies, impulsivité, susceptibilité, dépendance affective, peur du conflit, problèmes à s’affirmer… Être hypersensible dans le monde d’aujourd’hui n’est pas facile. « Notre société reste encore très individualiste, technologique, fondée sur la performance… froide. Si la sensibilité est désormais mieux perçue comme une valeur, elle n’est pas pour autant perçue comme une valeur rentable », confie le psychiatre Boris Cyrulnik[1].
Attentif aux moindres détails
Ayant une origine multifactorielle, au confluent de la biochimie hormonale, du contexte psycho affectif de l’enfance ou encore de possibles chocs ou traumas, une chose est sûre : l’hypersensibilité donne accès à un plus grand nombre de stimulus que la moyenne, et donc, d’informations. « Les personnes hypersensibles ont comme des antennes. Elles ressentent beaucoup de stimulations de l’extérieur. Elles sont attentives aux moindres détails, aux mimiques, aux changements même infimes de comportement ou d’attitude, et sont capables de déceler des incohérences dans le discours, des dissonances entre ce qui est dit et ressenti. Tout ou presque est passé au filtre de leur intuition. Toutes ces informations s’amalgament et donnent des ‘impressions’ sur la personne, si elle est digne de confiance ou pas. », explique la coach et auteure Fanny Marais[2]. Naturellement intuitif, l’hypersensible perçoit ainsi sans effort quantité d’informations subtiles, sur son environnement et les gens avec qui il interagit, et s’en sert instinctivement pour prendre ses décisions et s’adapter au mieux à son environnement. « En soi, l’hypersensibilité n’est pas un inconvénient, c’est au contraire un avantage. Cela peut paraître incroyable aux yeux des personnes hypersensibles qui en souffrent et pourtant c’est vrai ! Le fait d’être plus capable de saisir l’état émotionnel de l’interlocuteur est un avantage. Le fait de détecter des détails que les autres ne perçoivent pas est un avantage », estime l’auteur et psychiatre Nicolas Neveux[3], qui néanmoins précise l’importance pour les hypersensibles d’apprendre à « faire les efforts nécessaires pour traiter et hiérarchiser organiser ces quantités d’informations perçues ».
Post-rationalisation
Car c’est là que réside le principal défi pour l’hypersensible aux prises avec son hyperintuition : parvenir à gérer les informations sensibles qui lui parviennent pour les trier, -qu’est ce qui lui appartient et appartient à l’autre-, leur donner du sens et éventuellement en faire quelque chose. Bien des écueils le guettent, dont la projection et la surinterprétation, -lorsque la personne attribue à tord à l’autre des émotions lui appartenant ou les déforme, et les doutes et les remises en cause. « Les hypersensibles bouillonnent à l’intérieur. Ils se posent mille questions sur la véracité et fiabilité de leur ressenti. Souvent, ils post-rationnalisent, tentant d’expliquer après coup ce qu’ils ressentent », poursuit Fanny Marais. Pour mettre de l’ordre dans ce brouhaha intérieur de perceptions, la personne hypersensible gagne d’abord à être attentive à ses ressentis : quels types de manifestations, à quel moment, en présence de quelle personne ou de quelle situation ? Ensuite, elle peut prendre le temps et le recul pour évaluer et bien faire la distinction entre ce qui vient d’elle et de l’autre, et prendre du recul par rapport aux ressentis, en s’autorisant à se tromper. Enfin, il est crucial d’apprendre à utiliser ses intuitions d’abord pour soi-même, évitant le piège de vouloir aider l’autre, ce que la personne hypersensible est portée, par sa nature empathique, à faire spontanément. Un travail de psychothérapie peut peut parfois s’avérer indispensable pour permettre de mettre à distance ses émotions envahissantes et accéder à une plus grande efficience intuitive.
Homo Intuitus
« L’hypersensibilité n’est ni un trouble ni une déficience, mais une signature avec laquelle on peut apprendre à vivre heureux et s’épanouir », affirme Boris Cyrulnik[4]. De plus en plus associée à une force, et de moins en moins à une forme de fragilité, certains considèrent même que l’hypersensibilité serait l’avenir de l’homme. C’est du moins ce qu’avance l’auteure et psychothérapeute Marie Caiazzo dans son livre Le Guérissage[5], où elle évoque l’apparition d’une nouvelle ère, celle l’Homo Intuitus, qui après celle de l’Homo Sapiens développe une sensibilité exacerbée. Les Intuitus « ressentent le monde de manière plus globale et distanciée, avec des capacités émotionnelle et neurosensorielles plus grandes et plus amples. (…) Ils expérimentent pleinement cette oscillation entre rationalité et spiritualité, cette polarité qui donne du sens à l’expérience humaine, questionne sur le sens des choses, amène à la conscience les mécanismes inconscients », explique-t-elle. Pour elle, les Intuitus sont un atout majeur répondre aux enjeux actuels écologiques, démographiques et climatiques et changer le monde.
Isabelle Fontaine
A lire : Suis-je hypersensible ?, Fabrice Midal, Flammarion
* Témoignage librement inspiré de personnes hypersensibles ayant assisté à un de mes stages « Libérez la voix de votre intuition ».
[1] https://www.femina.fr/article/boris-cyrulnik-l-hypersensibilite-n-est-ni-un-trouble-ni-une-deficience-mais-une-signature
[2] Interview personnelle. Fanny Marais est l’auteure de « Hyper sensible, 10 séances d’auto coaching pour bien vivre sa singularité au travail », éditions Vuibert.
[3] https://e-psychiatrie.fr/situations-ou-appeler-a-laide/hypersensibilite-hyperemotivite/
[4] Voir note 1
[5] Le Guérissage, Marie Caiazzo, éditions Tana

