Bien connu en psychanalyse, le phénomène des schémas répétitifs fait revivre sans cesse des situations difficiles. Ce mécanisme inconscient peut être relayé par des synchronicités et autres étranges coïncidences, lesquelles semblent vouloir confronter sans concession à la part d’ombre que nous fuyons.
Jean a 45 ans. Graphiste à son compte, il a une vie professionnelle en dent de scie, avec des revenus erratiques. Hébergé chez sa compagne, il ne sent pas vraiment chez lui. Il caresse un projet d’achat en commun pour se « mettre à l’abri », mais sa petite amie y est opposée. L’appartement dans lequel ils vivent cumule les problématiques : relations difficiles avec le voisinage, nuisances sonores, place de parking empiétée, fuites d’eau… Une situation que Jean ne connaît que trop bien. Quelques années auparavant, un logement dont il était devenu propriétaire s’était révélé truffé de vices cachés. Contraint de le revendre rapidement, il n’avait jamais pu s’y installer. Une situation dramatique pour le quadragénaire faisant elle-même écho à une tentative avortée d’achat de maison dans un précédent couple, une quinzaine d’année en arrière. « Je vois bien que des mêmes signes et une même situation se répète, mais je ne comprends pas le sens. A chaque fois que j’essaye de me mettre en sécurité, ça échoue, et plus j’avance, plus le destin semble s’en mêler », regrette-t-il, amer, plongé dans une profonde incompréhension.
La trace de vécus d’enfance traumatiques
Jean semble pris dans les fourches caudines d’un mécanisme de répétition. Identifié dès les années 1920 par Sigmund Freud, comme un « au-delà du principe de plaisir »[1], le schéma répétitif apparaît, du point de vue de la psychanalyse, comme un mouvement aveugle, inconscient, faisant retraverser de manière cyclique des situations difficiles. Pouvant investir tous les pans de notre vie, ces schémas répétitifs revêtent des scénarios divers, mais nous font toujours expérimenter sentiment d’échec et d’impuissance. Impasses amoureuses, amicales ou professionnelles, abandons, trahisons, faillites, violences physiques ou sexuelles, accidents en chaîne, harcèlement, problèmes avec l’autorité, difficulté à s’engager, à faire des choix, auto sabotage etc. Pour Freud, cette « compulsion » de répétition, c’est-à-dire des actes que la personne se sent forcée d’effectuer « à l’insu de son plein gré », et en dépit du bon sens, serait la marque d’événements ayant fait trauma dans le passé et en particulier dans l’enfance, lesquels, par l’entremise d’incessantes remise à jour, cherchent à émerger à la conscience. « Ce qui se répète, c’est ce qui insiste, et ce qui insiste est quelque chose d’éminemment refoulé »[2], indique le psychanalyste français Jacques Lacan. Le refoulé étant, en psychanalyse, les affects, les réactions, les pensées, les vécus difficiles maintenus dans la boîte noire de notre psyché, et constituant une part d’ombre que nous fuyons car trop douloureuse ou insupportable à accueillir. Et à Lacan de préciser le caractère déguisé et voilé des répétitions, lesquelles, bien que menant au même résultat, ne se manifestent jamais de manière strictement identique…
Des complexes qui font leur vie en nous
Carl Gustav Jung, fondateur de la psychologie analytique, concède de son côté que les répétitions sont la manifestation de « complexes », c’est-à-dire de motifs inconscients structurant notre vie émotive et puisant leurs racines dans notre vécu originaire de bébé, d’enfant et d’adolescent. Par un mécanisme involontaire, nous projetons à l’extérieur ces problématiques demeurées dans l’ombre, sur notre entourage, dans notre partenaire amoureux et dans diverses situations servant de scène de théâtre pour rejouer les actes d’une pièce inconnue dont nous sommes pourtant l’auteur. Pour Jung, ces complexes mobilisent une importante quantité d’énergie psychique, au détriment de l’expression de notre Soi, la partie profonde de notre être. Envahissants, ils provoquent des comportements inadaptés, et ont une vie autonome, pouvant aller parfois jusqu’à créer des personnalités parcellaires en nous [3]. Ces complexes peuvent se décliner à l’infini : complexe d’infériorité intellectuelle, de culpabilité, de dévalorisation, de ne pas être aimable, de devoir souffrir pour gagner sa vie, de se sentir supérieur, de refus de la sexualité, d’être pris en charge, d’être abandonné, d’être un déraciné etc. Tant que ces complexes ne sont pas vus et reconnus par celui qui les porte, le risque est de les répéter de manière mécanique sous forme d’incessants schémas, lesquels « dominent notre vie », explique le psychanalyste jungien Jean François Vézina[4]. Et pour l’auteur de souligner que « curieusement », la vie placera sur notre chemin des opportunités pour répéter à l’envi ces « motifs inconnus »…
Quand le hasard s’en mêle…
C’est le cas de Sabine, qui pendant des années enchaîne des relations amoureuses impossibles, marquées par l’abus. Vol, violences verbales, tromperies amoureuses, mensonges sous diverses formes… Malgré un travail engagé sur elle depuis quelques années, Sabine se voit répéter et « tomber dans le panneau » à chaque nouvelle relation, impuissante à enrayer une machine comme devenue folle. Jusqu’au jour où elle fait une rencontre décisive. « J’étais en voyage. Il y a eu une série de coïncidences très perturbantes, difficiles à relater, comme s’il existait un tissage invisible entre nous. On se croisait et on se recroisait, dans des endroits improbables, comme s’il était impossible de ne pas se rencontrer», relate Sabine. Sorte de « coup du destin », cette rencontre synchronistique très intense émotionnellement fait chuter la jeune femme dans les abysses… Ce sera la dernière fois. A bout de souffle, Sabine entreprend une thérapie pour, enfin, parvenir à mettre fin à cette chaîne de souffrance. « Ceux qui n’apprennent rien des faits désagréables de leur vie forcent la conscience cosmique à les reproduire autant de fois que nécessaire, afin d’apprendre ce qu’enseigne le drame de ce qui est arrivé », avance Jung[5]. Ainsi, certaines synchronicités, ou « hasards » en tant que manifestation d’une « grande conscience », pourraient avoir pour fonction de nous faire répéter ce qui fait blocage en nous pour nous confronter à cette part d’ombre aspirant à émerger à la lumière. Jean-François Vézina voit dans ces synchronicités de répétition l’œuvre de l’inconscient collectif qui, en convoquant des situations symboliques, « synchronise des occasions pour dénouer des nœuds affectifs et les intégrer à la personnalité »[6].
Répéter, repérer, réparer
Voilà donc la fonction de ces répétitions, aux conséquences parfois désastreuses, sur lesquels les psychothérapeutes se mettent tous d’accord : à travers la remémoration de ce qui a fait « trauma » et en le revivant en boucle, la psyché tente de se libérer, cherchant ouverture et expansion au-delà de l’enfermement. Pour Jean il s’agira de faire des liens entre ses répétitions de situation d’insécurité et une enfance marquée par des pertes précoces et une absence de protection parentale afin de pouvoir enfin ressentir les émotions enfouies et ne plus avoir besoin de les revivre en boucle. Pour Sabine, le chemin de réparation sera de mettre du sens, et réparer la maltraitance parentale dont elle a été l’objet enfant, l’empêchant adulte d’accéder à un lien d’amour « suffisamment bon », empêtrée dans une loyauté inconsciente avec ses parents. Répéter pour Repérer puis Réparer (voir encadré ci-après « Comment se libérer des schémas répétitifs? ») semble être le crédo du mécanisme des répétitions, lesquels, au croisement de la psychanalyse et d’une approche plus spirituelle, sont une main tendue pour devenir plus conscients. Générant parfois beaucoup de souffrances, dont les racines remontent non seulement à l’histoire personnelle mais est indissociable de celle des générations passées, il n’est pas rare que ces schémas répétitifs, par leur insupportabilité, soient un déclencheur majeur pour entamer un travail sur soi transformateur.
Isabelle Fontaine – Histoire d’intuition
Auteure et thérapeute
[1] Au dela du principe de plaisir, Sigmund Freud, Payot
[2] Le Séminaire, Livre II, Jacques Lacan, Seuil ; source Valentine Hervé : https://paris-6-psychologue.com/la-compulsion-de-repetition-ou-pourquoi-revenir-vers-ce-qui-fait-souffrir/
[3] Encyclopédie universalis https://www.universalis.fr/encyclopedie/complexe-psychanalyse-et-psychologie/
[4] Les hasards nécessaires, JF Zézina, Pocket
[5] https://citations.ouest-france.fr/citations-carl-gustav-jung-454.html
[6] Ibid 4
A lire aussi l’article très clair de Béatrice Darmon « La Reproduction de schémas »
COMMENT SE LIBERER DES SCHEMAS REPETITIFS ?
Les schémas répétitifs sont des situations de vie revenant de manière cyclique, générant souffrance, impuissance et incompréhension. Voici les étapes pour se libérer de l’enfer-mement dans lesquels ils nous plongent :
1. Comprendre ce qui est à la source
Les schémas répétitifs sont l’émanation d’une part d’ombre refoulée, faite de croyances négatives, de repères erronés, de blessures, de contrats tacites, d’émotions et de ressentis insupportables engrammés durant l’enfance, qui se projette et se réactualisent inconsciemment dans le monde extérieur. Un travail d’introspection sur son enfance, les relations avec ses parents, la fratrie, le fonctionnement du couple parental, de la famille, y compris celle des générations précédentes, est important pour faire émerger les dysfonctionnements, la toxicité des liens mis en place et les loyautés inconscientes paralysantes qui en découlent -l’enfant intérieur cherchant toujours inconsciemment à protéger ses parents.
2. Repérer les liens et endosser sa responsabilité
Les schémas répétitifs avancent généralement masqués. Il est parfois difficile de relier différentes situations difficiles qui apparaissent sans rapport les unes avec les autres. Ayant pour dénominateur commun l’échec, il est important de laisser parler son intuition qui « ressent » les liens invisibles, et indique lorsqu’une situation est « anormale », ou trop fortement chargée émotionnellement. Débusquer sa part active dans les situations cycliques, en cessant de renvoyer la faute sur autrui ou sur des aléas extérieurs, permet d’endosser sa pleine responsabilité.
3. Réparer et se faire accompagner
La réparation passe par la prise de conscience de ces schémas et de leurs mécaniques secrètes, mais aussi le fait de retraverser les émotions et ressentis refoulés pour, en se rassemblant, les intégrer comme une partie de soi. Ce travail, qui mène à progressivement cesser les répétitions mortifères, passe par un accompagnement en psychothérapie ou en psychanalyse, permettant dans un cadre secure et bienveillant, de panser les blessures de l’enfant intérieur pour ensuite laisser la place à de nouvelles situations créatives, exprimant le vrai Soi.
I. F.
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