Secrets de famille : quand le corps sait l’indicible

Secrets de famille : quand le corps sait l’indicible

Deuils non faits, secrets inavouables et inavoués, conflits non résolus… Les thérapeutes le constatent : dans les familles, tout se sait, même lorsque cela n’a pas été dit. Et nous payons parfois cher, à notre insu, les dettes de la vie cachée de nos ancêtres en les exprimant, intuitivement, à travers notre corps et notre psyché.

Les mémoires issues de nos lignées familiales pourraient être engrammées dans nos cellules, et se transmettre de génération en génération. Photo : Sander Sammy – Unsplash

Oui, les secrets de nos aïeux peuvent nous « empoisonner» la vie. Oui, leurs traumatismes passés sous silence, leurs amours illicites, leurs douleurs ravalées, leurs espoirs déçus, leurs faux pas demeurés dans l’ombre, leurs deuils d’êtres chers perdus non faits peuvent parfois expliquer nos dépressions, nos maladies, nos difficultés existentielles, nos phobies, nos complexes, nos blocages… Et venir éclairer des événements répétitifs de nos existences, comme des suites d’accidents, de fausses couches, de séparations, de ruptures, d’échecs professionnels etc. Dans son cabinet de consultations, Bruno Clavier reçoit de ces patients « hantés » à leur insu par un passé dont ils ignorent tout, du moins consciemment. Dans ses livres Les Fantômes Familiaux, Ces enfants qui veulent guérir leurs parents (ed. Payot), le psychanalyste transgénérationnel partage avec nous des histoires vécues, dont certaines bousculent nos convictions rationnelles. Comme lui, bien des thérapeutes le constatent, sans pouvoir l’expliquer : dans les familles, tout se sait, même lorsque cela n’a pas été dit. Et surtout les secrets lourds passés sous silence…

Enfants télépathes

Certains enfants et adultes, particulièrement sensibles et intuitifs, semblent plus réceptifs que d’autres à ces non-dits, allant jusqu’à les vivre et les exprimer dans leur corps intuitivement avec un symbolisme souvent frappant. Marcel Ruffo dans Œdipe toi-même (Ed. Livre de Poche), évoque le cas de cette petite fille souffrant d’angoisses d’étouffement tous les soirs dans son lit au moment de s’endormir. Son père était mort noyé, et personne n’avait pu lui dire la vérité. Lorsque cela lui fut révélé, avec les mots choisis, ses symptômes cessèrent.
Aux côtés de notre inconscient individuel coexisterait ainsi  un « inconscient familial ». Dans cet espace cher au psychiatre suisse Carl Gustav Jung, l’inventeur de cette notion phare de la psychologie, toutes les informations sont  partagées dans une famille à un niveau subtil. Bruno Clavier va même jusqu’à parler de capacités « télépathiques », en particulier chez les enfants : « L’enfant est télépathe parce que dans tous les espaces, il est donc en même temps ici et là-bas. L’accès au passé des enfants  est depuis longtemps évident pour moi ».Transmis de génération en génération, ce « passif familial » imprimerait certains individus au plus profond de leur chair et de leur psyché, allant jusqu’à revivre, par « fidélité familiale  inconsciente » certaines maladies traversées par leurs ancêtres, au même âge, reproduire des comportements aberrants ou revivre des drames personnels : rupture amoureuse, accident, faillite etc.
Ce fameux « passif » pourrait même avoir une origine génétique. A l’Université de Genève, des recherches nous apprennent que des violences, des maltraitances, des abus sexuels pourraient s’inscrire dans l’ADN. Bien que cette étude ait été partiellement remise en cause, aux Etats-Unis, une équipe a montré que les émotions vécues par les générations précédentes pouvaient se transmettre génétiquement (voir l’article « La mémoire de vos ancêtres dans votre ADN? »). Cette transmission transgénérationnelle peut s’étaler sur des durées insensées… Des siècles, même ! Ainsi, dans Aïe mes Aieux (Ed. Desclée de Brouwer) , Anne-Marie Ancelin Shcutzenberger, raconte une histoire étonnante d’une famille hantée depuis des siècles par une malédiction de mort d’enfant à un âge précis, celle-ci se répétant de manière incessante de génération en génération.

Indicible, innommable, impensable

Pour les psychanalystes Nicolas Abraham et Maria Torok, un traumatisme secret ou nié dans la généalogie -inceste, criminalité, enfant adultérin, mort prématurée, deuil non fait, homosexualité cachée…- peut créer un « fantôme » psychique dans les générations suivantes. Il se transmet inconsciemment aux descendants, gagnant en intensité au fil du temps. Ainsi, à la première génération, le trauma est « indicible ». Caché par son porteur, il vit dans l’inquiétude que son secret soit découvert ou bien il n’en a tout simplement pas conscience, l’événement étant frappé d’amnésie, déni ou refoulement. A la deuxième génération, les événements traumatiques à l’origine du secret deviennent « innommables ». « L’enfant porteur du secret d’un parent ne saura pas trouver les mots justes pour nommer ce qu’il pressent exister d’occulté dans l’héritage familial reçu », explique Saverio Tomasella dans Renaître après un traumatisme (ed. Eyrolles). A la troisième génération, le trauma devient « impensable ». « Le descendant du grand-parent porteur d’un trauma secret se sent traversé par des émotions, sensations, potentialités d’action ou images qui lui semblent étranges et ne peuvent s’expliquer par la réalité de ce qu’il vit » poursuit le psychanalyste. Le « travail du fantôme dans l’inconscient » selon Abraham et Torok vient ainsi perturber la vie intérieure du sujet qui se trouve frappé d’une obligation de « nescience », c’est à dire de ne pas savoir. Il cache tout au fond de lui, sans le savoir, dans une crypte, le trauma d’un autre, mais qui est devenu le sien. Dans certains cas, ces fantômes peuvent entraîner dans la généalogie des cas graves de maladie mentale, délinquance, folie, addiction, vie en marge la société etc. A noter que pour cacher une tragédie, le système familial peut aller jusqu’à créer un mythe venant occulter la réalité du drame initial. En inventant une « belle histoire » mettant en avant des héros, une sorte d’écran de fumée se créé, ayant pour fonction de tenter de mettre en mots une histoire qui ne peut être dite.

Tout ce qui n’est pas dit est répété

« Tout ce qui n’est pas dit est répété », souligne Bruno Clavier, invitant à briser les chaînes du non-dit, et à se libérer, non seulement pour soi-même, mais également pour les générations à venir. Il existe diverses approches pour explorer ces pistes thérapeutiques, comme la psychogénéalogie, qui repose sur la pratique de l’exploration des arbres généalogiques et le repérage attentif de répétitions de dates, d’événements, ou d’étrangetés généalogiques. Il existe aussi l’approche des constellations familiales et systémiques inspirées de la méthode de Bert Hellinger. Ces sortes de jeux de rôle interactifs à visée thérapeutique reposant sur des mécanismes intuitifs, peuvent aider dans certains cas à repérer des éléments familiaux dysfonctionnels voire occultés, à condition d’être pratiquées par des psychothérapeutes aguerris. Le « décodage biologique » quant à lui permet d’apporter de la lumière sur les symptômes du corps, en les reliant à une signification possible inconsciente. Un des livres référence en la matière est Le Grand livre des malaises et des maladies (Ed. Quintessence holoconcept), de Jacques Martel. Diverses approches de type « mémoire cellulaire » ou « énergétique » proposent également de mettre en lumière ou traiter ces mémoires généalogiques souffrantes.

Ces méthodes peuvent s’avérer intéressantes pour faire émerger ou soulager les difficultés liés à ces épisodes clés du passé ne demandant qu’à être exhumés pour être enfin traversés et transformés. Mais rappelons que dans ce domaine, rien ne remplace un long et minutieux travail en analyse ou en psychothérapie qui permettra de descendre tout au fond de la crypte pour enfin regarder le fantôme droit dans les yeux, et avec lui, tous les symptômes, souffrances et dysfonctionnements engrammés au plus profond de l’être. Une démarche qui ira mobiliser les forces psychiques inconscientes du patient, son intuition, sa capacité de symbolisation notamment à travers les rêves; et qui demande un certain courage. Incompréhension, résistances, scepticisme, rétention, déni, refus, rejet du clan familial : il n’est jamais facile en effet de sortir les cadavres bien planqués au fond des placards… Mais c’est le prix de la libération et de la guérison pour des personnes souvent à bout de souffle.

Isabelle Fontaine

Article publié le 20/2/20217, mis à jour le 17/2/2022

Auteure en développement personnel et thérapeute formée à la psychanalyse transgénérationnelle -ou psychogénéalogie-, je consulte à Montreuil ou en ligne. Contactez-moi pour prendre rendez-vous.

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15 commentaires

  1. francefougere

    Merci pour toutes ces indications, précieuses.
    J’ai lu  » Aïe mes aïeux  » mais je ne connaissais pas les autres titres. Il faut savoir écouter ce que les aïeux nous transmettent. Amicalement – france

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  2. coupdepateazoe

    Merci pour cet article qui tombe à pic, au moment où je fais le lien entre certains événements dans la famille de ma mère : un fils de sa mère, décédé jeune d’une péritonite et complètement « gommé » de la mémoire familiale, jamais mentionné par ma grand-mère… et j’en saisis maintenant les conséquences… c’est fascinant ! De belles lectures en perspectives !

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  3. Stephane

    Bonjour, pouvons nous faire un travail sur notre lignée alors qu’on ne sait rien d’elle?
    Mon père et ma mère n’ont jamais connu leur père, du coup on ne connaît rien de leur lignée… Ma mère ne connaît pas son père (grand mere volage et pas très bavarde) et le père de mon père est mort un mois avant sa naissance…
    Merci beaucoup

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    • Histoire d'Intuition - Isabelle Fontaine

      Bonjour Stéphane, oui il est possible de travailler sur sa lignée même quand il y a des zones d’ombre. Le père de votre père est mort jeune, mais il a existé, il est possible de faire des recherches sur lui, ne serait-ce qu’en retrouvant son acte de naissance et en consultant les recencements d’époque, presque tous les départements ont des services d’archives d’état civil en ligne que l’on peut consulter de chez soi. De même qu’il est toujours possible d’enquêter dans les familles, en contournant les personnes peu bavardes… Il peut être intéressant de vous rapprocher d’un thérapeute en transgénérationnel, ils ont l’habitude de de genre de situations, et aident la personne à faire la lumière sur leurs mémoires. La psychophanie peut aussi grandement aider.
      Bien à vous,
      isabelle

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      • SPOSITO

        Bonjour. Pouvez-vous m’indiquer à qui je peux m adresser pour trouver un psychothérapeute en transgenerationnel ou quelqu’un qui pratique la psychologie sur Marseille. Merci

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  4. Elisa

    Un article très intéressant, merci beaucoup 🙂

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  5. Fred

    Ces secrets qui pèsent parfois sur plusieurs générations…
    Comment une trahison d’un de nos aïeux peut nous gêner, nous bloquer dans nos vies !!!
    Merci pour cet article riche .
    Fred

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    • Histoire d'Intuition - Isabelle Fontaine

      Oui, c’est vrai, tant que cela n’a pas été travaillé, dit et mis en lumière, ces secrets peuvent perdurer sur plusieurs générations, d’où l’Intérêt d’un travail personnel de conscience pour se libérer, soi et les générations suivantes!
      Bien à vous,
      Isabelle

      Réponse
  6. SPOSITO

    Je voulais dire en psychophanie. Merci

    Réponse
  7. kareen

    Merci

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  8. louis

    Entre les mémoires ancestrales et les mémoires karmiques (elles interviennent aussi), il y a beaucoup à faire, je le constate régulièrement en séance (technique de régulation émotionnelle proche du code des émotions)

    Réponse

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