Décrypter les synchronicités, des pistes pour passer de l’énigme au message

Certains synchronicités semblent nous mettre au défi de résoudre une énigme. Sorte de rébus de l’univers, ces étranges coïncidences invitent, pour leur donner du sens, à une exploration introspective, au confluent du langage symbolique et de notre histoire personnelle.

Depuis le début de l’année, les événements bizarres s’accumulent pour Laurence. « Le 1^er janvier, mon train est en retard, et le suivant juste derrière ferme ses portes sous mon nez. Les piles du bip pour ouvrir les grilles de ma résidence sont subitement HS. Les clés de chez moi pourtant d’habitude bien rangées, sont difficiles à trouver. Quant à mon contrat EDF, il est résilié sans mon accord et je me retrouve sans lumière ! Je suis vraiment intriguée… Que signifient tous ces empêchements, et ce, en début de nouvelle année ? », se tourmente la jeune femme. Romain de son côté se souvient de cette unique coïncidence, qui le laisse encore, des années plus tard, bouche bée : « Je discutais avec un ami, quand, je ne sais plus pourquoi, je me mis à parler du jouet favori de mon enfance, des petites voitures ancienne, dont un modèle bien précis. Puis nous sommes partis nous promener en forêt. C’était en plein hiver, il faisait froid, l’endroit était désert. D’un coup, sous nos pas, pile au milieu du sentier, comme si elle nous attendait, se trouvait la petite voiture dont je venais de parler, avec pile mon modèle favori. J’étais sidéré. Je me demande ce que ça peut bien vouloir dire ».

Du matériel précieux potentiellement interprétable

Peut-être comme Laurence et Romain avez-vous vécu un jour de ces étranges coïncidences, hasards bizarres et autres événements « faisant signe », vous ayant laissé l’impression qu’un message vous était adressé, mais sans pour autant en saisir le sens… Le phénomène de la synchronicité, théorisé par Carl Gustav Jung dans les années 1930, a de quoi dérouter. Le psychiatre suisse décrivait la synchronicité -terme qu’il a inventé- comme un phénomène de « coïncidence signifiante » se manifestant par l’occurrence d’un ou plusieurs événements relevant de « l’acausalité », c’est-à-dire reliés entre eux par le sens et non par la cause, et venant comme résonner, faire écho, avec l’état psychique d’une personne. Il avait observé quantité de ces phénomènes chez ses analysants, comme avec la célèbre patiente au scarabée doré[1]. Au lieu de les traiter comme des rebus issus de la pensée magique ou d’une simple projection mentale, Jung notait le fort impact émotionnel des synchronicités, les considérant comme du « matériel » précieux, potentiellement interprétable, au même titre que les rêves.

Comportement étrange d’un animal, personne croisée en un lieu improbable, objet trouvé avec une signification particulière, paroles entendues dans la rue ressenties comme adressées personnellement, récurrence autour de soi d’heures-miroir de type 11h11 ou 22h22 aperçues en différentes occasions, écho sidérant entre des éléments de rêve et la réalité physique[2]… Carl Gustav Jung avait noté dans son texte fondateur sur le synchronicité publié en 1952, (Synchronicité et Paracelsica, Albin Michel) la grande complexité et diversité des manifestations de synchronicités, tentant de distinguer ce qui pouvait avoir un sens d’un point de vue psychologique, ou pas. Si le sujet reste encore largement à explorer et à défricher, force est de constater que certaines synchronicités  « cadeau » portent en elles-mêmes un message clair[3], par exemple dans les cas où, par une série de coïncidences improbables, un objet perdu revient à son propriétaire ; et ne nécessitent donc pas, à priori, d’être décryptées.

Le rôle central des symboles et des archétypes

Dans cette recherche potentielle de sens, ce qui est essentiel pour Jung est d’entrer au contact de la dimension symbolique de la synchronicité. Ainsi, pour le psychiatre suisse, ces coïncidences signifiantes sont une manifestation de l’Unus Mundus, ce « Monde Un » décrit par les alchimistes du Moyen Age dans lequel matière et esprit, comme indifférenciés, sont en étroites connexion par l’intermédiaire des symboles, en particulier les archétypes. Ces grands symboles archaïques et universels, issus notamment des contes, légendes et mythes, viendraient « activer » ou « consteller » la synchronicité par un déploiement d’une énergie psychique hors norme, permettant la matérialisation du sens dans le monde réel. Dans son livre Les Hasards nécessaires[4], Jean-François Vézina observe de son côté, outre leur dimension archétypique, que ces coïncidences signifiantes se manifestent préférentiellement dans les moments d’entre deux de la vie, de crise, de transformation (séparation, maladie, réorientation professionnelle, déménagement, deuil, dissensions familiales, de couple, au travail, dilemme etc)… Autrement dit, « lorsqu’une certaine tension psychique ou un conflit intérieur habite la personne, la tourmente et menace de la diviser »[5]. Dans ce contexte sous haute tension, et en écho au besoin naturel de tendre à une résolution, les synchronicités se présentent comme de « formidables occasions d’évolution, et des expériences hautement transformatrices permettant à la personne qui en saisit le sens de mieux comprendre une situation ou de prendre le bon chemin », résume l’auteur Frédéric Lenoir[6].

Faire parler sa synchronicité

Potentiellement porteuses de messages destinés à nous guider vers notre réalisation intérieure, interpréter les synchronicités « énigmatiques » est un exercice de haute voltige. Voici quelques pistes pour tenter l’aventure :

• Je fais le point sur le moment de vie dans lequel je me trouve. Suis-je bloquée à un endroit de particulier, dans un moment de crise, de conflit extérieur et/ou intérieur ? Quel sujet est vraiment important en ce moment pour moi et que j’ai éventuellement du mal à voir, à dénouer, à faire avancer ou à ancrer, consolider, affirmer ?

• J’explore le contexte de la synchronicité. Au moment de la synchronicité, juste avant ou après, qu’étais-je en train de faire, de penser ? Dans quel endroit je me trouvais, où est-ce que je me rendais? Avec qui j’étais, qui allais-je voir ? 

• Je cherche les symboles. Quels sont les éléments saillants qui ressortent ? Les symboles, les archétypes en jeu ? S’il y a un objet, à quoi, à qui, fait-il référence dans ma vie présente ou passée, que symbolise-t-il ? Si c’est un animal, que représente-t-il ? Quelles sont les croyances et légendes associées? Si cela concerne un lieu, quelle signification pour moi ? S’il s’agit d’une personne, quelle place dans ma vie, que représente-elle de manière profonde sur mon chemin ? Qu’y-a-t-il peut-être à comprendre dans cette relation?

• Je repère le thème attracteur. Y-a-t-il un thème commun, central, qui se dégage, qui revient sans cesse ou qui fait lien entre les différents événements s’il y a plusieurs coïncidences ? Qu’évoque spontanément ce thème, à quoi me fait-il penser ?

• Je ressens. En fermant les yeux, je me remémore la synchronicité en détail. Qu’est-ce que je ressens, quelles émotions sont là, comment ça fait dans mon corps ? Est-ce que ça me fait penser immédiatement à une situation présente ou passée ou que j’aurai déjà vécue ? Quel lien éventuel avec la synchronicité ?

• Je fais parler la synchronicité. Je ferme les yeux et me remémore en détail la synchronicité. Je choisis un élément-clé de la synchronicité et je parle en son nom. Que dit-il ? Que ressent-il ?

• Je distingue la direction. Dans quelle direction je sens éventuellement que la synchronicité m’emmène ? Vers quoi ?

Laissez venir à vous tout ce qui se présente spontanément en réponse à ces questions, même si ça a l’air insensé. Ici, il s’agit, comme dans la méthode d’interprétation freudienne des rêves, de laisser venir les associations libres pour créer des liens, des ponts, et faire émerger du sens. Pour Laurence par exemple, il s’agira de mettre en mots et en pensée ces différents « arrêts ». Elle pourra distinguer éventuellement ce qui la maintient dans une forme d’obscurité, l’empêchant de se déployer pleinement dans ses projets de vie et demande donc à être vu en priorité et conscientisé. Pour Romain, il pourra chercher du côté de l’élément attracteur central de sa synchronicité, le jouet préféré de son enfance. Quels souvenirs attachés à cette époque de sa vie ? Il pourra faire parler ce marqueur clé en laissant libre cours à ses pensées sans les contrôler ou les juger.

Véritables leviers de développement personnel, certaines synchronicités demandent un travail de décryptage. Celui-ci nous demande d’explorer de manière rationnelle la synchronicité tout en faisant confiance en ses ressentis intuitifs. Un regard extérieur, ami, thérapeute ou personne proche de confiance, peut être utile dans cette démarche. Il est en tout cas fondamental de garder une saine distance avec ces phénomènes en gardant à l’esprit, comme le rappelle le psychologue Jean François Vézina : « Si le sens existe, alors le non-sens existe aussi ».

Isabelle Fontaine

Pour aller plus loin, rendez-vous sur YouTube avec le live  : « Interpréter les synchronicités : symboles, archétypes, langue oiseaux ».

[1] « Synchronicités, ces heureuses coïncidences qui nous connectent à notre intuition »
[2] « Signes, coïncidences, hasards : reconnaître les cinq grandes manifestations de la synchronicité »
[3] Transformez votre vie avec les synchronicités, Isabelle Fontaine, Eyrolles.
[4] Les hasards nécessaires, Jean-François Vézina, Pocket.
[5] Le Pouvoir du symbole, Mireille Rosselet-Capt, Jouvence.
[6] Jung, Un voyage vers soi, Frédéric Lenoir, Albin Michel

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