Recueil de sagesse, oracle, système d’aide à la décision, livre de connaissance de soi… Etudié par les esprits les plus brillants, du physicien quantique David Peat au psychanalyste Carl Gustav Jung, le Yi King, ou « Livres des Changements », propose de faire une expérience pure de la synchronicité en donnant du sens au hasard.

Intriguant Yi King[1]… Depuis sa popularisation en Europe en plein boom flower power des années 60, sa réputation n’a cessé de séduire les esprits les plus brillants. Parmi eux, les physiciens quantiques David Peat et Fritjov Capra et le psychanalyste Carl Gustav Jung. Alors que le premier considère ce livre de sagesse chinoise comme le « plus haut niveau de conception philosophique de la synchronicité »[2], c’est-à-dire du hasard qui fait sens ; le deuxième reconnaît dans le Yi King « une écriture sacrée de valeur égale à la Bible et aux Védas »[3], les textes fondateurs de l’hindouisme. Quant au dernier, fondateur de la psychologie des profondeurs, il y voit un texte majeur de connaissance de soi destiné aux « gens de pensée et de réflexion qui aiment à méditer sur ce qu’ils font et ce qu’il leur arrive »[4]
Carapaces de tortue brûlées
A la fois oracle, outil d’aide à la décision et d’exploration de soi, théorie sur l’univers et livre fondateur de la culture chinoise, le Yi King qui signifie « Livre des changements » en chinois, tire ses origines d’un ensemble de légendes condensant trois mille ans d’histoire du pays du Soleil-Levant. S’y mêlent le légendaire Fou Hi, le roi Wen, fondateur de la dynastie des Tcheou ou encore l’illustre philosophe Confucius. Un mythe raconte que c’est une tortue qui, en sortant du fleuve jaune, apporta les figures du Yi King sur son dos, faisant ainsi un lien avec la tradition chamanique de lecture de présages dans des carapaces de tortue brûlées. Utilisé traditionnellement comme un manuel de gouvernement par les puissants de la Chine ancienne, le Yi King est constitué d’un ensemble de 64 hexagrammes, figures représentant une situation de vie au caractère intemporel et universel. Suite à une question ou un sujet posé, un hexagramme est tiré au hasard en guise de réponse à l’aide de baguettes d’achillée ou de pièces de monnaie,
Une des particularités du Yi King qui interpelle les esprits modernes est sa constitution binaire. En effet, chaque hexagramme est formé de six traits, pleins ou continus correspondant au yang, ou bien discontinus ou brisés, correspondant au yin. Cet éventail des possibles binaires fait écho au oui/non, vrai/faux ou encore au langage informatique 0/1. En 1974, Marie-Louise Von Franz, psychanalyste continuatrice de l’œuvre de Jung, observe que l’oracle chinois suit les mêmes lois numériques que le code génétique. Sa découverte, publiée sans son ouvrage Nombre et temps, met en lumière qu’en miroir des 64 hexagrammes, il existe en effet quatre combinaisons possibles de signes pour la constitution des 20 acides aminés dans le code des ARN et ADN. A la même époque et sans qu’ils soient au courant de leurs travaux de recherche respectifs -coïncidence toute synchronistique- la même découverte est faite par le biologiste Nobel de médecine François Jacob.
Harmonie de l’univers et résonance informationnelle
En rapport avec la cosmogonie énergétique chinoise, d’une grande complexité dans sa structure elle-même décomposée en trigrammes et comportant diverses sous figures, chacun des 64 hexagrammes du Yi King porte un nom, et décrit de manière détaillé et imagée des situations de vie, en miroir à différentes étapes sur son chemin d’évolution. Chacune de ces situations est exprimée dans un langage symbolique, archétypal, émaillé d’histoires et de mythes propres à la pensée chinoise, notamment taoïste. Outre un descriptif très précis de la situation en cours, invitant le consultant à voir les choses avec honnêteté, telles qu’elles sont, des conseils concrets invitent à prendre la responsabilité de ses actions et décisions. Les exégètes du Yi King s’accordent ainsi tous à reconnaître le travail sur soi auquel le livres des changements mène naturellement son utilisateur, lui-même se voyant transformé dans sa vision et sa place dans le monde et sa vie. « Le Yi King est consulté dans le dessein non tant de connaître le futur, mais plutôt de découvrir la conjoncture présente afin de prendre une décision juste. Cette attitude l’élève au dessus d’un ouvrage ordinaire de divination et en fait un livre de sagesse » résume Fritoj Capra[5].
Proposant de faire l’expérience parfaite du hasard qui fait sens, Jung lui-même rappelle : « comme toutes les techniques dites divinatoires, le Yi King repose sur le principe de la relation synchronistique ou acausale »[6]. Dans l’esprit chinois traditionnel en effet, le ou les hexagrammes tirés en réponse à une question sont par définition « justes » car dans leur vision, l’harmonie de l’univers offre aux choses à se produire ensemble, à un même moment, dans le même temps, dans une sorte d’écho, de résonance informationnelle les unes des autres. Traité de compréhension des lois de l’univers et de la vie, Le Yi King est lui-même considéré dans cette approche comme un médiateur entre le ciel et la terre. Grâce à lui, une connexion, une relation entre ces deux sphères peut se faire, et permet à l’humain de comprendre que « tout ce qui arrive dans le monde terrestre est le développement d’ordres qui existent dans la sphère supérieure, laquelle est inaccessible aux sens à l’état normal », avance David Peat.
Entrer en contact avec le monde de l’éternité
Spécialiste de la synchronicité, le physicien quantique va jusqu’à avancer que le Yi King amène le questionneur à entrer en contact avec le monde de l’éternité, lui permettant ainsi de modifier le futur et ses possibles. Selon les sages chinois, l’acte de divination renfermerait ainsi en lui-même l’essence du présent, les germes du futur, incluant simultanément l’observateur. « Tout l’univers se trouve involué dans un instant de temps et dans l’acte de divination du Yi Jing à travers le motif d’un hexagramme, qui révèle une information. L’acte de perception qui nait chez l’observateur pourra entrainer la libération d’une énergie créatrice, laquelle restructurera cette information et s’écartera des limites du temps. La quantité d’énergie créatrice pourrait être comparée à celle dégagée lors d’une réaction nucléaire, quand la structure interne du noyau est réarrangée. »[7] Selon le physicien, Celle-ci est suffisante pour transformer la signification du présent et l’orienter vers de nouvelles possibilités pour le futur impliquant de fait une transformation radicale… Un effet renversant du Yi King, qui ne serait valable, comme le souligne David Peat qu’à la condition de manifester l’ouverture d’esprit nécessaire à un tel champ de possible.
S’ouvrir à l’inexpliqué, une approche revendiquée par Jung : « La plénitude irrationnelle de la vie m’a appris à ne rien rejeter, même si cela va à l’encontre de nos théories, ou n’admet par ailleurs aucune explication immédiate »[8], affirmait-il. Passionné de Yi King, le psychiatre utilisait régulièrement le livre des Transformations pour lui-même, et parfois même dans ses consultations, observant des concordances entre la problématique du patient et l’hexagramme obtenue. Marie Louise Von Franz assure qu’à la fin de sa vie il cessa cependant de le consulter le Yi King, « Parce que, me dit-il un jour, il ‘savait’ toujours à l’avance ce que serait la réponse »[9]. Souvent pertinent, ayant converti jusqu’aux plus réticents à la synchronicité du hasard signifiant, le Yi King doit cependant être utilisé avec rigueur et discerner. Fournissant « des pistes intéressantes pour dénouer des impasses de notre vie ; le Yi King est un procédé projectif, une trame de fond sur laquelle nous pouvons projeter nos préoccupations et obtenir une réponse symbolique »[10], indique l’auteur Jean-François Vézina. Comme tous les procédés oraculaires, le Yi Jing est ainsi soumis à l’approximation et à la subjectivité de l’interprétation, exigeant un certain détachement. De surcroit, il n’est pas toujours au rendez-vous lorsqu’on le consulte, se faisant parfois franchement obscur ou décalé, comme si « ce n’était pas le bon moment » pour y recourir. Oracle millénaire, animé d’une mécanique secrète, le Yi King invite ainsi à « danser » avec l’univers, la nature, le mystère… Bref à jouer avec sérieux et lâcher prise et légèreté.
Isabelle Fontaine

GUIDE PRATIQUE – COMMENT TIRER LE YI KING
1-Bien poser et choisir sa question. A question claire et précise, réponse pertinente. Exclure les interrogations divinatoires : Vais-je décrocher ce contrat, trouver tel logement, mon conjoint va-t-il revenir ? Préférer les questions d’éclairage ou de stratégie renvoyant à sa responsabilité, avec un e « je » à l’intérieur : Qu’en est-il de telle relation, tel projet, telle décision ? Que dois-je faire pour obtenir tel contrat, tel logement, retrouver mon partenaire ?
2-Tirer un hexagramme. Une question = un hexagramme. Cependant, en fonction du tirage et de se ses caractéristiques de mutations de traits, un deuxième hexagramme de « sous réponse » appelé hexagramme de perspective peut apparaître. Il donne alors une coloration particulière.
3-Méthodes de tirage. La méthode traditionnelle recourt à des baguettes d’achillée, la plus courante utilise trois pièces de monnaie.
4-Interprétation. Le Yi King nécessite un décryptage des hexagrammes. A lire: Le Yi Jing pour les Nuls, Dominique Bonpaix, First, Yi Jing, Le Classique des Mutations, Pierre Faure, éditions Les Belles Lettres. A voir aussi le site L’encyclopedie dy Yi Jing
(Légende image : Hexagramme 8 « Union »)
[1] s’écrit aussi sans distinction Yi Jing
[2] Synchronicité, le pont entre l’esprit et la matière, David Peat, éditions Le Mail.
[3] Le Tao de la physique, Fritjov Capra, J’ai lu.
[4] Synchronicité, le livre des transformations, Richard Wilhem, Libairie de Medicis, préface de Carl Gustav Jung.
[5] Voir note 2
[6] Synchronicité et Paracelsica, CG Jung, Albin Michel.
[7] Citation reformulée et synthétisée à partir du livre note 1, pages 212-213
[8] Voir note 3
[9] La synchronicité, l’âme et la science, collectif, Albin Michel.
[10] Les hasards nécessaires, Jean-François Vézina, J’ai lu.


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