Auroville, cité utopique, cité intuitive

Auroville, cité utopique, cité intuitive

Utopique, expérimentale, alternative et spirituelle… mais bien réelle : Auroville, en Inde, tente depuis 1968 d’inventer une autre manière de vivre ensemble, en harmonie et en paix avec le vivant. Cette cité de « l’Aurore », créée sous mandat de l’Unesco, qui abrite quelques milliers de résidents issus de 40 nationalités différentes, accorde une place naturelle à l’intuition, en résonance à une démarche de recherche intérieure. Rencontre avec Jean Laroquette, habitant d’Auroville et pionnier de sa construction.

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Cérémonie devant le Matramandir d’Auroville, en Inde

 Auroville… Avec son architecture folle et futuriste, sa spiritualité à fleur de peau, ses idées humanistes, écologiques et alternatives, son tourisme pro-européen réglé au cordeau et sa situation improbable au sud de l’Inde, en pleine région du Tamil Nadu, elle n’a pas fini de fasciner et de susciter les réactions passionnées. Un peu à l’image de l’Inde, extrême, on aime Auroville, intensément, ou on la déteste… Jean Laroquette, qui fut de un de ses pionniers, en est aujourd’hui un résident, se partageant entre Paris et sa résidence indienne, servant de contact pour les personnes désirant s’y installer. Alors comédien et metteur en scène prolifique, il entend parler pour la première fois du projet de construction d’Auroville en 1973. On est en pleine vague Flower Power, un vent de révolution et de libération souffle sur l’Europe. La cité utopique basée dans le Sud de l’Inde, près de l’ancienne ville coloniale de Pondichéry, a besoin de bras pour se construire et d’esprits aventuriers pour lui donner du sens. Jean Laroquette se sent appelé par l’expérience, il « doit » y aller. Avec son épouse, ils vident leur appartement parisien, conviant des amis à récupérer les biens dont ils se séparent. Ils partent s’installer là-bas avec leurs enfants, relevant le défi fou que leur lance Auroville, implantée sur une terre désertique et aride.
Cité utopique, expérimentale, nouvelle, spirituelle… Tentative hors norme d’incarner un humain en évolution, quelle est la place de l’intuition, et plus généralement de la dimension intérieure, dans le projet résolument fou d’Auroville ? Totale, centrale, cruciale, estime Jean Laroquette que j’ai eu l’occasion d’interviewer dans la première version de mon livre sur l’intuition, et dont je livre ici une version d’entretien enrichie. Selon lui, l’intuition est en lien avec la peur, qu’il faut cesser de ressentir pour se libérer, mais aussi avec l’audace, dont il faut retrouver le chemin…

Isabelle Fontaine : Certains ont entendu parler d’Auroville, avec des avis passionnés et contradictoires, d’autres pas du tout. Pouvez-vous nous présenter simplement Auroville ? 

Jean Laroquette :   C’est une ville créée de toutes pièces en 1968 sous mandat de l’Unesco près de Pondichéry, dans le sud de l’Inde. L’idée était de créer une « cité universelle », où chacun pourrait vivre en paix l’un avec l’autre, sans système organisé, et même sans argent. 2000 personnes issues de 40 nationalités -dont beaucoup de Français et des Européens- et une centaine d’entreprises, certaines très actives dans le développement durable, l’écologie et la permaculture, y sont aujourd’hui implantés. J’ai débarqué là-bas au début des années 70 avec ma femme et mes deux enfants. Au début, j’ai construit des maisons, j’ai planté, beaucoup, des arbres, des légumes, des fruits. C’était urgent et nécessaire, l’endroit était alors un désert inhospitalier, que nous avons finalement transformé en jungle verdoyante. Ensuite, je me suis occupé des écoles, j’en ai créées plusieurs selon la pédagogie Freinet que je connaissais bien car mon père enseignait selon cette méthode alternative, puis j’ai aussi enseigné le théâtre dans le prolongement naturel de ma carrière en France de comédien. Depuis quelques années, je partage mon temps entre Paris et Auroville et sers de contact pour des personnes désireuses de s’installer là-bas en leur fournissant des informations et de l’aide.

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Jean Laroquette, habitant et pionnier d’Auroville

I.F. : En quoi cette ville est-elle utopique, et comment fonctionne-t-elle ?

J.L.: Auroville a été fondée pour donner corps à la pensée du philosophe indien Sri Aurobindo, et créée concrètement sous l’impulsion de sa compagne spirituelle, une Française dénommée Mirra Alfassa, connue sous le nom de Mère. On retrouve un peu partout dans Auroville leurs portraits. L’idée est que des gens de nationalité, de couleur, de pensée différentes peuvent vivre unis (voir ci-après la déclaration de « Mère » sur la création d’Auroville). C’est un projet vieux comme le monde. Auroville est un laboratoire de vie expérimental, donc imparfait, mais ce n’est ni une communauté, ni une secte. Il n’y a pas de police et de pouvoir politique. Les décisions sont prises de manière concertée. L’argent est présent, contrairement à la volonté initiale. Il sert pour les échanges. Mais le pouvoir de l’argent n’existe pas, la propriété privée étant inexistante. On ne peut pas s’enrichir à Auroville. Il n’y a pas non plus de religion. Le Matramandir, lieu central d’Auroville que l’on reconnaît à son imposant dôme doré est un lieu de recueillement intérieur, où l’on peut aller méditer, mais on est libre de le fréquenter ou pas. Certains n’y mettent jamais les pieds.

« Il devrait y avoir quelque part sur la terre un lieu dont aucune nation n’aurait le droit de dire ‘il est à moi’ ; où tout homme de bonne volonté ayant une aspiration sincère pourrait vivre librement comme citoyen du monde et n’obéir qu’à une seule autorité, celle de la suprême vérité ; un lieu de paix, de concorde, d’harmonie, où tous les instincts guerriers de l’homme seraient utilisés exclusivement pour vaincre les causes de ses souffrances et de ses misères, pour surmonter ses faiblesses et ses ignorances, pour triompher de ses limitations et de ses incapacités ; un lieu où les besoins de l’esprit et le souci du progrès primeraient la satisfaction des désirs et des passions, la recherche des plaisirs et de la jouissance matérielle. Dans cet endroit, les enfants pourraient croître et se développer intégralement sans perdre le contact avec leur âme : l’instruction serait donnée, non en vue de passer des examens ou d’obtenir des certificats et des postes, mais pour enrichir les facultés existantes et en faire naître de nouvelles. »
Mirra Alfassa, dite La Mère, déclaration de création d’Auroville en 1954

I.F. : On lit beaucoup de critiques sur Auroville, que c’est un lieu de post colonisation, et que l’esprit utopique des débuts s’est beaucoup dilué…

J.L. :  Je le répète Auroville est un lieu d’expérimentation, il n’est pas parfait. C’est un endroit où l’on cherche, ce qui suppose d’emprunter des chemins différents, et de faire des essais. Il y a deux manières d’aller à Auroville. En touriste, parce qu’on est curieux, on en a entendu parler et on a décidé d’explorer le sud de l’Inde. On y reste d’une après-midi à plusieurs jours, et on peut en repartir avec une vision superficielle du lieu, parce que sa véritable essence se dérobe à nous. Elle demande une disponibilité et une disposition d’esprit particulière. L’autre manière d’y aller est de manière plus profonde. On ressent un appel, une attirance, voire une nécessité d’aller là-bas, -un besoin- pour vivre une expérience, quelle qu’elle soit. On se sent attiré par le lieu, par ce qu’il véhicule, ce qu’il propose à la fois d’un point de vue pratique, mais aussi spirituel. En fonction de la manière dont on l’aborde, le vécu et la vision pourront être très différents.

I.F. : Quelle est la place de l’intuition à Auroville ?

J. L. : «  Auroville est un endroit où l’on cherche à donner naissance à un homme différent, nouveau, et ce, en travaillant, entre autres, sur son être intérieur, sa spiritualité. Mais cette démarche est secrète, non visible. Si vous questionnez un Aurovillien sur ce qui l’a amené là, il y a peu de chance qu’il vous parle sa spiritualité, il ne vous répondra pas, du moins, au premier abord. C’est un chemin intime, personnel, dont l’intuition est une des clés. C’est une autre manière d’appréhender le monde, la réalité. Ce n’est ni mental, ni intellectuel, ni cognitif, ni sensitif. C’est une évidence de la vérité. Une vision instantanée, comme l’artiste qui voit au-delà de la matière. C’est quelque chose qui se travaille, ouvre des possibilités de faire de nouvelles choses, et que chacun doit chercher à développer et peut le faire. Tout le monde a potentiellement de l’intuition, encore faut-il être capable de se mettre à son écoute. »

 « Dans ce lieu, les titres et les situations seraient remplacés par des occasions de servir et d’organiser ; il y serait pourvu aux besoins du corps également pour tous (…) La beauté sous toutes ses formes artistiques : peinture, sculpture, musique, littérature, serait accessible à tous également ; la faculté de participer aux joies qu’elle donne étant limitée uniquement par la capacité de chacun et non par la position sociale ou financière. Car dans ce lieu idéal, l’argent ne serait plus le souverain seigneur ; la valeur individuelle aurait une importance très supérieure à celle des richesses matérielles et de la position sociale. Le travail n’y serait pas le moyen de gagner sa vie, mais le moyen de s’exprimer et de développer ses capacités et ses possibilités, tout en rendant service à l’ensemble du groupe qui, de son côté, pourvoirait aux besoins de l’existence et au cadre d’action de chacun. Ce serait un endroit où les relations entre êtres humains, qui sont d’ordinaire presque exclusivement fondées sur la concurrence et la lutte, seraient remplacées par des relations d’émulation pour bien faire, de collaboration et de réelle fraternité. »
Mirra Alfassa, déclaration de création d’Auroville, en 1954.

I. F. : Quels conseils donneriez-vous pour s’ouvrir à son intuition ?

J. L. : « Le premier travail consiste à faire le vide. Faire rentrer du silence dans sa tête. Le yoga ou la méditation sont de bons moyens. Mais ce n’est pas obligé de pratiquer. On peut être dans cette vibration d’ouverture et de réceptivité en permanence. Nous avons tous la tête encombrée d’habitudes, de choses qui nous formatent, qui nous font peur. Notre société est entièrement basée sur la peur. Nous croyons être libres d’être nous-mêmes, mais nous sommes pour beaucoup dirigés par des préjugés qui, eux, viennent de l’extérieur. Il est crucial d’essayer de sortir de la paranoïa ambiante, où tout est triste, dangereux, difficile. Pour cela notre intuition est fondamentale. Je crois vraiment qu’il est important d’avancer sans regarder par terre où on met les pieds. Retrouver le sens de l’aventure. Se laisser porter par le vent, accepter de le laisser nous mener ».

Propos recueillis par Isabelle Fontaine

Jean Laroquette raconte son histoire dans Auroville, un aller simple ?, Éditions Chemins de Tr@verse.

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1 commentaire

  1. Vie Sereine.com

    A reblogué ceci sur VIE SEREINE.COMet a ajouté:
    Beaucoup d’idées qui ont révolutionnées le monde étaient considérées comme utopiques au départ… Merci pour cet article merveilleux que je partage avec plaisir.

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